Next - nr.29, 1993

La Peinture de Mats Bergquist

Hans Ruin Mats Bergquist, né en I960, est un artiste-peintre suédois qui a vécu de longues périodes à l’étranger, en Europe et en Asie. Il a exposé en Suède, mais également en Italie et en France où il vit actuellement. MB a fait de la photographie et de la sculpture, mais il travaille principalement la peinture sur des supports variés: toile, papier de riz, bois, verre, plaque de fer ou de cuivre.

On pourrait brièvement caractériser l’art de MB comme la recherche d’une représentation du sacré, interprétation éclairante mais insuffisante. Le sacré est associé au mystique, à la religion, autant de termes aux acceptions multiples, utilisés soit trop savemment, soit trop simplement. Comment réapprendre à penser, à vivre et peut-être même à voir le sacré? C’est une problématique que l’art de MB encourage à poser.
La polysémie du terme «sacré» ouvre des possibles mais elle soulève aussi des difficultés. Comme après une offrande, l’espace sacré est celui du recueillement, du refuge, un lieu abrité. C’est donc aussi un espace qui offre protection. Dans l’enceinte sacrée, l’homme est préservée, comme à l’intérieur du temple. Le sacré est aussi fantomatique, effrayant et imprévisible. En tant que tel, il est lié depuis longtemps au sublime, catégorie inhérente à l’esthétique romantique, qui, depuis quelques années, est à nouveau au cœur des débats théoriques sur l’art.
Toutefois, le sacré dont traite MB a peu de rapport avec le romantique sublime. Il se rapproche davantage d’une conception plus ancienne- la plus ancienne sans doute – celle de la tombe comme espace sacré. La sollicitude accordée aux morts est au cœur du mode d’être religieux; de l’attention portée aux membres défunts de la famille naissent le rite et le culte ainsi que la communion. C’est autour de la tombe qu’apparaissent les formes les plus anciennes de l’activité artistique. Tout se passe comme si la tombe était la forme matérielle première du sacré. Elle veille sur ce qui est perdu, ou plutôt sur la perte elle-même. La tombe permet ainsi le souvenir clé la perte.

L’image en tant que tombe mais aussi la tombe en tant qu’image: cette idée parcourent déjà les premiers dessins de MB, dont une série exécutée au fusain sur papier de riz représentant des signes proches de l’écriture l’unique tels que les gravaient les tailleurs de pierre sur les pierres tombales. Ces dessins sont recouverts d’une seconde feuille de papier de riz si bien qu’ils semblent voilés sous un brouillard évanescent. L’artiste considère lui-même ses dessins comme une introduction à sa peinture. La peinture à l’huile qui suit donne a voir le même désir d’exprimer dans l’image la perte en cours et de retenir la perte elle-même. Sur de grandes toiles travaillées en profondeur par l’application de plusieurs couches de peinture, puis retravaillées et vieillies à la térébenthine, on retrouve des signes tantôt religieux, tantôt profanes, où effleure toujours le temps – ni présent, ni passé, mais ce temps propre à la perte. Au cours de ces dernières années, les signes explicitement religieux parcourent à nouveau l’art de MB, notamment un travail encore inachevé sur des icônes.

MB n’appartient pas à une confession particulière; mais ses images puisent leurs racines dans le monde chrétien, en particulier dans le monde protestant du nord de l’Europe. Ces images ont un rapport à l’univers catholique de l’image et de la couleur fondé sur un mélange d’austérité et de fascination propre au tempérament Scandinave, un tempérament qui rejette le fastueux et tend vers l’ascétique sans pour autant fuir le profane. Le point de départ adopté par MB est souvent un sujet trivial: le motif d’un sol ou d’une tapisserie, alors consacré signe universel d’une présence passée. On peut cependant affirmer avec certitude que cette peinture, bien qu’inspirée des maisons chinoises ou des palais romains, n’a que faire de l’exotisme. Il s’agit toujours, d’après Hôlderlin, de se trouver soi- même à travers l’Autre.

La tombe pourrait être interprétée comme une fenêtre ouvrant sur l’absence, un lieu de passage du regard. Aucun hasard si MB est fasciné par le motif de la fenêtre, en particulier les fenêtres des pays lointains. Au cours de ses séjours en Chine et au Tibet, il a rassemblé des photographies de fenêtres qu’il a ensuite travaillées de multiples façons dans sa peinture. Ce sont pour la plupart des surfaces sombres et opac[ues, corne cette série de peintures sur clé fines plaques de cuivre oxydées, inspirées par les fenêtres du temple de Lhassa. Ces fenêtres sombres peuvent être interprétées comme une variation sur l’image de la tombe. Klles révèlent une absence. L’artiste comme le spectateur sont exclus et sans droit d’entrée. L’image ne représente rien et surtout pas le sentiment intérieur de l’artiste. Elle figure l’espace d’un souvenir c)ui n’appartient a personne: un lieu sacré.
La fascination pour le motif des rayures semble appartenir a une tradition picturale contemporaine qui va de Bai-net Newman a Gunter Fôrg. Chez Daniel Buren, elle prend la forme d’une géométrie plus pure. Chez MB, cette forme simple a progressivement évolué pour donner naissance à une création originale: un tableau carré, composé de quatre cadres dont deux figurent des diagonales de sens opposé, un troisième des rayures horizontales et le quatrième des rayures verticales. Cette composition, réalisée en plusieurs variantes, marque une nom elle étape dans la peinture de MB.

L’image est moins ouverte qu’auparavant et cela dans plusieurs sens. L’origine narrative est quasiment effacée; les rayures ne renvoient a rien d’autre qu’a elies-môme. La composition des lignes crée en outre un mouvement qui dirige constamment le regard vers le centre du carré sans pour autant lui permettre de s’y poser. Le regard erre mais ne peut s’arrêter s’il n’accepte l’harmonie contradictoire des éléments de l’image. Celle-ci est discordante mais elle oblige le spectateur a s’y attarder.

Un effet similaire se produit dans la dernière série d’images, une série de peintures/sculptures sur métal inspirées par les volets de Venise. Ces surfaces sombres sont ici traversées par quelques rares diagonales dans un mouvement de chute subitement interrompu; le regard, invité a s’attarder, se concentre, se repose; rien n’est dit. mais un repère se crée qui offre le recueil de la pause; le recueil du souvenir abrité par l’image.

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